samedi 17 septembre 2011

Naadam ! Les trois sports de l'homme

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C'est à Pékin que le Naadam commence, pour nous. Dès que nous réalisons que celui-ci débutera le surlendemain de notre arrivée à Oulan Bator, nous décidons de réserver un hôtel. La chose n'est pas aisée, c'est la période la plus touristique dans le pays. Alors je ne vous parle pas de la capitale à la veille du plus gros festival national ! Tous les hôtels sont réservés. Les touristes arrivent de partout dans le monde pour assister au spectacle. Nous finissons par trouver deux lits de dortoir dans un petit appartement tenu par une française.
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Nous débarquons donc l'avant veille des festivités, avec Malte et Verena, et sommes tous d'accord pour foutre le camp avant que celles-ci ne commencent, comme nous vous l'avons raconté quelques billets plus haut. Parce que le Naadam dans la capitale, c'est plus de touristes que de locaux dans les rues, c'est des places dans les tribunes du stade à 40$, c'est l'impossibilité de se loger à moindre frais. Et cela pendant toute la semaine qui vient. Nous préférerions tous fêter ces deux journées dans une ville plus petite, où ce sera moins touristique, ou les cérémonies seront plus modestes mais plus authentiques et où le contact avec la population locale sera plus aisé.
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D'après nos renseignements, la ville de Tsetserleg, à une journée de route à l'ouest de UB (désolés, les français ne disent pas OB), célèbre le festival les même jours que la capitale. Nous organisons donc notre périple en prenant en compte que cette ville sera notre première étape, et que nous devons y être le plus vite possible.
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Le Naadam, c'est LA fête la plus populaire de Mongolie, tant auprès des mongols que des visiteurs étrangers. Les nomades viennent à cheval, parfois de très loin, pour assister aux compétitions des trois sports traditionnels, les trois sports de l'homme, comme on dit dans le pays: la course de chevaux, le tir à l'arc, et bien sûr, la lutte.
C'est Gengis Khan qui instaura cette fête, en 1206. Alors forcément...
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Une fois l'itinéraire choisi et l'équipe qui nous emmènera formée, nous prenons donc la route...
Nous bivouaquons en chemin, et arrivons en milieu d'après-midi à Tsetserleg le 11 juillet, censé être le premier jour du Naadam. Mais à notre arrivée dans cette jolie capitale d'aimag, l'atmosphère a un goût de fin de fête. Nous nous renseignons... Les festivités ont commencé la veille, et viennent juste de se terminer !
Sacre Bleu ! On a tout raté ! Tout? Non. La foule se concentre derrière le stade. Nous garons notre Uaz et allons la rejoindre, marcher entre les yourtes, cabanes et camions installés provisoirement (un pléonasme, en Mongolie, c'est vrai), où la population termine la journée. 
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Des hommes torses nus et aux ventres gigantesques cuvent leur vodka à l'ombre des yourtes. Des gamins surexcités traversent l'endroit au galop sur des chevaux aux yeux révulsés par le bruit et la foule. La population rit aux éclats, attablée devant des yourtes où l'on se restaure en buvant de l'airag et en mangeant des khorchor et des buuz, ces délicieux dumplings au mouton, frits et huileux ou cuits à la vapeur et collants. Vieux et jeunes se pressent aux stands de fléchettes ou de loteries. Malgré la taux moyen d'alcoolémie relativement élevé, l'ambiance est finalement plutôt bonne. Et on se prend au jeu. 
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Si nous sommes frustrés d'être arrivés un peu tard, nous repartons contents de ce premier bain de foule locale. De toute façon, comme le dit le proverbe mongol, on ne se lasse pas de l'arc parce qu'on est rentrés bredouille de la chasse. Ce n'est que partie remise. En effet, le Naadam est fêté tout au long de l'été. Il suffit de tomber au bon endroit au bon moment...
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Un jour, nous arrêtons le van sur la piste pour regarder une folle cavalerie d'une cinquantaine de chevaux galopant ventre à terre, au loin, montés par des gamins de 5 ou 6 ans qui leur chantent à l'oreille de quoi les stimuler sur une distance ahurissante de 25 ou 30 km. Lors de ces courses, les accidents ne sont pas rares, tous les cavaliers n'arrivent pas en selle. Mais peu importe, seul le cheval compte, dans ce pays où l'on érige des statues dans les centre-ville en hommage à tel ou tel étalon qui a marqué l'histoire équestre de la province. En effet, un cheval sans mini-jockey sur le dos mais passant la ligne d'arrivée est tout de même pris en compte ! Le cavalier n'est qu'un outil, le plus léger soit-il, pour maintenir la vitesse de sa monture.
Bogui nous raconte qu'elle aussi, petite, participait au Naadam, et qu'elle a eu son heure de gloire, gagnant, à l'âge de 5 ans, l'une de ses courses. Mais elle a arrêté à 8 ans, lorsque, suite à une chute, elle a commencé à avoir de sérieux problèmes de dos. Heureusement pour la famille, le cheval s'était bien remis de l'accident. Mais la mère de Bogui décida tout de même que s'en était fini du triple galop pour la jeune cavalière. Bogui, les yeux étincelants, en parle toujours avec beaucoup d'émotion.
- Quand on galope, on dirait qu'on vole, me répète-t-elle à plusieurs reprises lors de notre trek à cheval.
Mais elle reconnaît que les risques pris par ces gamins, qui montent les chevaux sans selle et sans étriers, sont énormes. Les décès son nombreux, et être invalide dans ce pays est sans doute la pire des récompenses.
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Parfois, nous nous arrêtons dans une yourte, et, après les salutations de base – « Bonjour, comment va la famille? Comment va le bétail? Votre herbe est-elle bonne? » - nous sommes invités à suivre un match de lutte en direct sur leur petite télévision. Télé qui est branchée sur une batterie de voiture, comme d'habitude, et dont la qualité de l'image et du son sont tellement mauvaises qu'on en attrape des maux de crâne après seulement quelques minutes. Les lutteurs, ces trop-pleins de testostérone, ces montagnes de muscles et de graisse mesurant généralement plus de deux mètres de haut, vêtus d'accoutrements à la superman (sans sa cape), et de slips à rendre fou de jalousie Aldo Maccione, torses et bedaines à l'air, tournent l'un autour de l'autre, et tentent de se faire chavirer sans se donner de coups. Le gagnant aura le droit de voir passer le perdant sous son aisselle (rien que ça, ça ne donne pas envie de perdre!), et d'enchainer avec une danse de l'aigle, tournant autour du perdant et du jury en mimant le vol de l'oiseau, en tirant une gueule d'enterrement brejnevien, avec la grasse d'un sumo marchant sur des œufs. Pour nous, c'est assez décalé. Mais il ne faut pas rire. La lutte est le plus macho des sports mongols, et si l'on esquisse ne serait-ce qu'un sourire en voyant ce spectacle, c'est l'honneur de toute la nation que l'on bafoue. L'hospitalité mongole a tout de même ses limites...
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Lorsque Ishka apprend, au Lac Blanc, que c'est son lutteur qui a gagné, rien ne peut arrêter sa joie. Il termine la soirée avec une cuite aussi mémorable que sa gueule de bois le lendemain!
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Une fois aux dunes de Khongoryn, nous apprenons qu'à Mandalgov, les 28 et 29 juillet, se tient le Naadam. A deux jours près, nous le rations définitivement, car c'est la dernière étape du voyage avant de rentrer sur Oulan Bator. Une âpre discussion s'ensuit, je vous le racontais, et nous décidons d'y assister.
Après avoir commencé par la clôture de la fête, au début du voyage, et avoir vu certaines épreuves par la fenêtre du van ou à la télé au fil des jours, aurons nous, avant de quitter le pays, la possibilité d'arriver assez tôt pour voir les épiques cérémonies d'ouverture ?
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Ce matin là, nous nous levons à l'aube. Nous ne sommes pas très loin et voyons la petite capitale grossir au fur et à mesure que nous nous approchons. Des yourtes ont été montées pour l'événement. Nous doublons quelques gamins s'entrainant sur leurs chevaux. Nous allons jusqu'au « centre-ville » où la foule très matinale se presse autour d'une haute statue recouverte d'un voile. Bogui nous explique que ce matin, un nouveau monument sera inauguré. La télévision est présente, des moines dans leur robes rouges sont par centaines assis autour. La foule est vêtue des apparats des grandes occasions, aux couleurs aussi flashy que multiples: manteaux jaunes, chapeaux aux formes ahurissantes, capes bleues, bottes roses, combinaisons violettes...
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Tout le monde se pousse pour essayer de voir quelque chose. Un officiel du gouvernement arrive en grande pompe dans un gigantesque Hummer noir au vitres teintées, escorté par une demi douzaine de 4x4, sirènes hurlantes au milieu d'une foule qui ne parvient pas à ouvrir un passage au convoi. Les policiers en uniformes gesticulent, menacent de leur matraques. Une voie est ouverte. Le personnage en question peut sortir de sa voiture et prononcer, devant caméras et photographes venus en nombre, un discours qui paraît impressionner beaucoup moins la foule que la voiture de laquelle il est sorti. Il repart aussitôt. Reconvoi bloqué. Re flics et matraques.
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C'est l'heure de voir ce que cache ce voile. La statue est découverte dans un grand « Oooohhh ».
C'est un cheval. On l'aurait deviné. Leur passion pour cet animal n'a pas plus de bornes que n'en compte ce pays sans route, propriété privée ou clôture. Bogui nous explique que c'est la sculpture du gagnant des trois ou quatre Naadams précédents, et qui est tombé raide mort à l'arrivée de sa dernière course, l'année passée. Le pauvre a fini dans la gloire, ça lui fait une belle jambe. Son riche propriétaire, dans toute son humilité, a offert ce monument à la ville. Tout le monde s'extasie devant la figure de bronze figée en plein galop, crinière au vent, muscles tendus. Les anciens se remémorent les exploits de l'animal. Quel est leur pronostic pour cette année? Les paris vont bon train.
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Une fois cette inauguration terminée, nous montons vers le stade improvisé sur un bout de steppe où commence tout juste la cérémonie d'ouverture. Chaque Sum (petit village) de l'aimag (province) a envoyé une sorte de délégation, pour la représenter. Des centaines d'enfants, d'hommes et de femmes, accoutrés comme des personnages sortis de Star Trek, attendent de défiler sur la pelouse du stade. Nous nous faufilons au milieu et sommes pris par l'excitation contagieuse que peu de participants parviennent à contenir. Mais attention, aucun second degré dans ces costumes. Le Naadam, c'est pas Mardi Gras. C'est très sérieux. Chacun vit sa présence sur cette pelouse comme un hommage. 
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Et puis les portes s'ouvrent. Pris dans le mouvement, nous sommes propulsés sur la pelouse du stade. Nous voici aux premières loges! Un à un, les groupes défilent, exhibant des costumes tantôt moyenageux, tantot kitch, tantôt... hmmm, hot.
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Les spectacles s'enchainent. Un orchestre se donne à fond. Des chanteurs s'époumonent dans des micros dont les grésillements et le larsen sont à peine supportables. Des danseuses légèrement vêtues se déhanchent autant que la bienséance locale l'autorise. Des acrobates sautent, rebondissent, flips et saltos... L'émotion prend le dessus. Tina et moi lâchons quelques larmes de joie que nous parvenons mal à cacher. Mais qu'importe.
Nous sommes si heureux de vivre cela à la fin de ce voyage au pays des nomades. C'est la meilleure conclusion que nous pouvions espérer. Ce peuple de cavaliers sauvages, ces cowboys des steppes, nous émerveille, ce pays est extra-ordinaire au sens premier du mot. Tout ici est tellement loin de nos habitudes, de nos façons de faire, de nos modes. C'est absolument fascinant. Colette disait que le voyage n'est nécessaire qu'aux imaginations courtes... (Ce qu'on peut entendre comme conneries !) Elle n'est sans doute jamais passée par la Mongolie.
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Au terme de la cérémonie, nous comprenons qu'en même temps, sont arrivés les premiers enfants sur leurs chevaux. Nous avons raté cela, mais la cérémonie valait vraiment le coup. Nous cherchons l'endroit où se déroulent les combats de lutte et ne trouvons pas. Certains nous disent qu'ils ont déjà eu lieu, également pendant la cérémonie d'ouverture ! C'est l'organisation à la Mongole ! Nous parvenons tout de même à voir un peu les archers envoyer leurs flèches à 65 mètres avec une précision déroutante.
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Nous déjeunons, comme à Tsetserleg, dans les yourtes qui proposent du mouton et de l'airag.
Et puis des nuages se lèvent et s'amassent dans le ciel. Le gris devient de plus en plus inquiétant. Nous passons au milieux des stands qui proposent des jeux de kermesse ou d'acheter toutes sortes de babioles, et savourons le moment... Mais la pluie s'abat violemment tout à coup sur la ville. Les gens courent en tous sens, s'abritent où ils le peuvent, sous un stand, sous un parasol, derrière un camion.
La fête paraît se terminer ainsi, en eau de boudin. Le reste des festivités est annulé pour le reste de la journée.
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Nous remontons dans le camion et conduisons hors de la ville. Nous passons notre dernière nuit en yourte avec une gentille petite famille d'éleveurs de chèvres vivant dans une très belle région. Nous nous délectons de cette dernière nuit en yourte, de ces derniers moments au contact des nomades. 
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Réveil brumeux. Nous avons une grosse journée de route pour arriver à Oulan Bator. 
Plus qu'aucun jour auparavant, la terre est dure et le ciel est lointain.
Ishka nous chante ses dernières chansons. Bogui nous conte ses dernières histoires. La piste déroulent ses derniers kilomètres et les collines dévoilent leurs derniers troupeaux de chevaux.
La Mongolie est derrière nous. Elle nous manque déjà. Il faudra y revenir. Vite.
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T&B

samedi 10 septembre 2011

Golden Gobi

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Ça y est, terminé de se prendre pour un cavalier-archer descendant direct de Gengis Khan, nous revoici aux côtés d'Ishka et de son 4x4. Ils nous attendaient de pied ferme 100 km plus bas que l'endroit où ils nous avaient laissés, au campement se trouvant à la sortie du parc des Huit Lacs.
Nous quittons nos chevaux avec émotion, bien que notre postérieur mettra plusieurs jours à se remettre de cette foutue selle mongole! Nous passons donc la nuit dans une des yourtes de cette famille que connaissent déjà Ishka et Bogui.
Dovdon, notre horseman, qui – comme nous autres - avait attaqué la journée très fort, n'a pas réussi à se remettre du voyage et a également dormi au camp. Il faut dire que, Tina a omis de vous le conter, la dernière journée de cheval a été assez éthylique!
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D'abord nous sommes passés par le camp du « voisin » de Dovdon. 10H du matin. Comme il était blessé à la jambe, l'alcool a coulé à flot... dans nos gosiers! Comme d'habitude en Mongolie, nous avons donc commencé par le traditionnel petit déjeuner complet, c'est à dire composé d'airag (le lait de jument fermenté) et de vodkas de toutes origines – mongole pour le petit goût de lait (normal, c'est le petit dèj), et russe pour le petit goût de patate, parce qu'il faut bien se nourrir.
C'est là que nous avons rencontré Sylvie, cette française de 25 ans, venue passer un an avec la famille d'un éleveur, également venus visiter le pauvre voisin estropié. Elle était venue en vacances en Mongolie, mais « avait encore des questions sans réponses à son départ ». Estomaqués nous étions devant son récit. L'hiver, comme pour les Mongols en général, aura été sa saison préférée. Elle repartira, comme prévu, à la fin de l'été. J'espère qu'elle a trouvé quelques réponses à ses questions.
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Nous avons continué le chemin sans Dovdon. Il avait visiblement encore soif et a proposé de nous retrouver au grand lac, deux heures de cheval plus loin. Heureusement que le cheval était là pour le porter! Mais malheur à nos foies, près de ce lac où nous déjeunions, nous avons rencontré une bande de jeunes randonneurs d'Outre-Manche dont les guides locaux avaient cassé leur réchaud. Nous leur avons donc prêté le notre. Pour nous remercier, l'un d'eux, qui, par chance, connaissait la sœur du pote d'un beau-frère dont le cousin est le proprio de la yourte qu'on voyait au loin là bas, en est revenu avec un bidon plein d'airag. La pause déjeuner s'éternisait. Une fois le bidon vidé, nous avons fini par lever le camp. Mais avec les vapeurs d'alcool émanant de l'haleine et de la sueur de Dovdon, le pauvre cheval commençait à tituber presque autant que son maître...
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Une fois au campement où nous avons donc dormi, l'apéro de bienvenue l'a achevé. Le pauvre a terminé à dormir dans le coin inexistant de la yourte de cette nouvelle famille qui nous accueillait, contrainte d'héberger l'ivrogne pour la nuit.
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Le lendemain matin est très inégal en gueule de bois pour les uns et les autres. Dovdon, qui, il faut bien le dire, avec ses moustaches et sa mâchoire carrée, jouit d'un visage patibulaire mais presque, fait une gueule à effrayer un ours slovène. Mais les au-revoirs, malgré les haleines fétides, sont très chaleureux. Il faut dire qu'il m'aimait bien, le Dovdon. Moi, j'aimais surtout ses chevaux.
Nous remontons donc dans le mode de transport mongol du XXIè siècle, le UAZ. Direction, le
Sud. Le Gobi. 
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Ce premier jour, nous commençons donc à nous enfoncer dans ce désert qui fait trois fois la superficie de la France, coincé entre le Sud de la Mongolie et le Nord de la Chine. Nous roulons jusqu'au lac asséché d'Orog Nuur, au pied d'une petite chaine montagneuse, et y rencontrons une charmante famille d'éleveurs de chèvres. Nous passons un bon moment avec eux, et les aidons à rassembler et traire leur bêtes. Nous décidons de bivouaquer pas très loin. Plus tard dans la soirée, leurs trois filles nous apportent du yaourt frais et du lait chaud. Nous les remercions en leur offrant des fruits et quelques tablettes de chocolat Golden Gobi.
Ce chocolat porte bien son nom. Le coucher et, le matin suivant, le lever de soleil sont majestueux. La lumière est chaude, le soleil rougit au dessus d'une végétation buissonnante et moribonde. Le sable prend une teinte dorée, et les montagne s'enflamment dans un ciel qui les recouvre petit à petit de ses étoiles.
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Le lendemain, nous nous perdons au milieux de collines, à chercher, sans GPS, une grotte. Nous tournons en rond pendant des heures dans un paysage sans piste ni chemin, qui n'offre aucun relief particulier, pas même un arbre, à essayer de déchiffrer la route à suivre sur une carte au millionième. Autant chercher une puce dans le pelage d'un cheval! Les nomades que nous rencontrons tous les 10 kilomètres nous indiquent, à la façon des Mongols, d'un doigt plié, bras tendu vers la steppe, que c'est à une distance moyenne vers le sud-est, ou, plus loin, le doigt tendu vers l'horizon, que c'est assez loin, mais vers le sud-ouest. Qu'y a t-il de plus relatif que les distances dans ce pays. On ne les compte pas en kilomètres, mais en journées de cheval, voire de Jeep pour les plus riches. Nous ne trouvons pas. Tout le monde s'engueule. Malte a faim, Hanna est fatiguée, Verena de mauvais poil, Bogui est embêtée de nous faire tourner en rond, Ishka est têtu et veut trouver... Les joies du voyage en groupe. Nous finissons tout de même par la trouver cette grotte qui ne paye pas de mine, et sommes récompensés par un spectacle de la nature mongole : Un double arc en ciel en plein désert de rocaille. Nous sommes à l'entrée du Gobi. Ces arches colorées nous souhaitent la bienvenue, tel un immense portail ouvrant la voie du désert. Dernières gouttes d'eau avant Oulan Bator. Cela nous rappelle que nos bouteilles se vident de plus en plus vite au fur et à mesure que le mercure du thermomètre monte, et qu'il va nous falloir trouver un puits avant les dunes de sable si nous ne voulons pas mourir de soif.
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Nous continuons à rouler vers le Sud. Peu à peu, le terrain devient sableux. Les dunes de Kongoryn Els finissent par se montrer, au bout d'une route qui paraît interminable. Nous débarquons dans un petit camp de cinq ou six yourtes au pied de ces montagnes mouvantes, sous une chaleur accablante. Tina et moi nous lançons dès cette fin d'après-midi à l'assaut de ces masses de sable. Le soleil se couche lentement, impossible de se décider à rentrer au camp. Pourtant, il y a plus d'une heure de marche pour rentrer aux yourtes. Mais nous retrouverons bien le chemin...
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Depuis le sommet de l'une de ces dunes, nous assistons donc au coucher de soleil, seuls, seulement tous les deux, enfin tous les deux. Spectacle saisissant de la lumière du couchant colorant le sable tour à tour de jaune foncé, d'ocre, d'orange, de rosé, puis de pourpre. Nous aurions dû prendre nos duvets et dormir ici, à la belle étoile, mais les nuits peuvent être très froides, donc mieux vaut rentrer. Le Gobi est en effet le désert le plus froid de la planète, et, même en été, les température peuvent descendre en dessous de zéro. Nous sommes dans le noir total, pas de lune cette nuit, juste un ciel incroyablement étoilé, plus d'astres que nous n'en avions jamais vu auparavant. Heureusement pour nous, les yourtes du camp ont aussi allumé leurs petites ampoules branchées sur des batteries de voiture. Nous les apercevons du haut des plus hautes buttes de sable. Elle nous permettent de nous orienter. Sans elles, nous n'aurions jamais pu retrouver le camp et aurions sans doute passé la nuit dehors, finalement.
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Un petit coup de tabac à priser?
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Nous restons deux jours dans ce camp qui nous offre l'occasion d'une pause. Nous y mangeons de la chèvre (le meilleur morceau de viande que j'ai avalé depuis des années, même les trois végétariens du groupe se sont régalés), et y buvons de l'airag de chamelle, doux, épais et crémeux.
Nous y faisons une sympathique randonnée à dos de chameaux. Photos, dunes, danse du ventre entre les deux bosses, mal de mer à trois mètres au dessus du sol. Et les douleurs postérieures qui se réveillent. Cliché de touriste, pour nous aussi.
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Il faut dire qu'ils sont nombreux, les occidentaux, dans ce coin du Gobi. Peut-être pour nous la possibilité de se laver. Dernière occasion avant la capitale, dans une semaine. Nous allons donc voir si c'est possible dans l'un de ces gigantesques « tourist ger camps », ces usines à voyageurs du dimanche, arrivés par cars entiers ; des camps de dizaines de yourtes d'un blanc immaculé, meublées des matelas les plus épais du pays, alignées le long de vilains chemins de gravier tracés au cordeau (dans un pays ou absolument rien n'est droit), organisées autour d'un restaurant à la déco ultra kitch où l'on sert de la baguette grillée et de la confiture de fraise au petit déjeuner. Le tout affiche une laideur ahurissante. Ces camps se multiplient à travers le pays, en particulier autour de la capitale. Leur peste du siècle. Ainsi, même les plus fortunés des touristes peuvent avoir, ou plutôt l'impression d'avoir, leur expérience authentique d'une vraie nuit en yourte, avec d'authentiques nomades ayant délaissé leurs moutons pour les plus rentables troupeaux d'Allemands et d'Américains bedonnants. Des nomades sédentarisés par les authentiques dollars qui coulent à flot des poches de ces authentiques voyageurs. C'est triste comme une baleine qui s'échoue sur une plage. Dieu merci, nous n'y dormons pas, mais, hypocrites que nous sommes, ces camps nous offrent bien la possibilité d'une authentique douche (commune), et à 5€, sans doute la douche la plus chère du pays, nous comptons bien en profiter. C'était d'ailleurs pas tant pour le luxe de se doucher en plein désert, mais plus pour se débarrasser, entre autres, de l'odeur de cheval trainée depuis des jours!
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 Le robinet du camp
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En sortant, on se sent si léger! Ça n'a pas duré longtemps. A peine revenus à notre camp, comme pour nous corriger d'avoir souillé le sol du désert avec notre courte douche, un mur de poussière rouge se forme et nous fonce dessus. Une tempête de sable. Panique dans le camp. Il faut vite fermer les toiles des yourtes, et lester les structure poids plumes des tentes avec d'énorme bidons de 30 litres d'eau attachés au poteau central... afin que le tout ne s'envole pas à des kilomètres.
La tempête est là, la yourte est secouée en tous sens. Afin d'en profiter encore plus, nous sortons et en prenons plein la figure. Au sens propre. Les chameaux restent zen et tournent le dos au vent, leur naseaux filtrant le sable.
Nous nous abritons dans le van et regardons le vent et le sable se déchainer contre tout ce qui est debout. Yourtes, véhicules, bêtes. Ça dure une bonne heure, et puis ça se calme. On ressort encore plus crasseux qu'avant la douche! Le sable s'est incrustés dans nos cheveux, dans nos vêtement, dans nos pores. Trois centimètres de sable dans la yourte, on en retrouvera de partout dans nos sacs, notre matériel, notre bouffe et nos appareils photo pendant des jours.
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Nous finissons par quitter cette petite bande de sable d'une centaine de kilomètres de long, un peu solitaire dans l'immense Gobi qui lui, est plutôt plat. Je ne cesse de penser à Slavomir Rawicz, un lieutenant de l'armée polonaise, qui prétend dans son livre s'être évadé d'un goulag sibérien et, avec six de ses camarades de cellule, avoir marché pendant deux ans pour fuir le communisme à travers l'Asie, traversant la Sibérie, la Mongolie, le Gobi, la Chine, jusqu'en Inde. Il décrivait d'ailleurs le Gobi comme une immensité de dunes, chose difficile à croire lorsque l'on est sur place. La steppe plate est devant, les montagnes juste derrière. Il prétendait aussi y avoir marché sans boire pendant 9 jours consécutifs, ce qui le discrédita auprès de nombreux spécialistes.
Quoiqu'il en soit, nous enchainons plusieurs journées de paysage identique. Et vide. Du plat. Encore du plat. Toujours du plat. Et un long nuage de poussière qui colle à notre UAZ filant sur une piste aussi droite qu'un soldat chinois dans ses bottes. Les yourtes et les voyageurs se faisant de plus en plus rares, les chameaux morts, gisant au bord de la route, nous rappellent que la moindre panne pourrait vite devenir dramatique. Trouver de l'eau, encore de l'eau. Pas sûrs de pouvoir tenir autant qu'un fuyard polonais.
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Je marche seul...
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Nous finissons par arriver à Yolyn Am. Un très beau canyon fleuri, qui est gelé la plus grande partie de l'année. Nous bivouaquons à la sortie de celui-ci, au milieu d'un paysage magnifique.
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Ravitaillement en eau dans un puits, sur la route
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Passage délicat dans un canyon
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Qui dit canyon, dit rivière, qui dit rivière, dit qu'on lave le linge!
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Yolin Am
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Bivouac à la sortie du canyon
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Le matin suivant, la discussion du petit dèj est tendue. Continuons nous, comme nous l'avions prévu à Oulan Bator, sur les Flaming Cliffs, le domaine de Roy Chapman Andrews, l'aventurier paléontologue des années 30 qui inspira le personnage d'Indiana Jones à Steven Spielberg et George Lucas? Ou bien tirons nous un trait sur cette région qui fut jadis peuplée de dinosaures (les fossiles, notamment d'oeufs, en témoignent) pour filer sur Mandalgov, la ville principale de l'aimag (province) du Sud-Gobi, car le Naadam, la fête nationale, s'y tient dans deux jours... En ce qui concerne Tina et moi, nous préférerions sauter sur l'occasion de passer un peu de temps entourés de Mongols, de voire la foule en habits traditionnels, de célébrer avec eux la fête la plus importante de l'année. Les autres préfèreraient continuer comme prévu. Hanna finit par se joindre à notre « camp ». L'argument qui fait basculer la décision en notre faveur, c'est que sur la route, il y a les Falaises Blanches.
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Montage de tente dans le plus grand des terrains de camping
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Nous voici donc sur la route de ces falaises. Étrange paysage karstique au milieu de l'immensité plate du Gobi. Ces falaises, de plusieurs dizaines de mètres de haut, prennent, au soleil couchant, des tons multiples. Tina et moi courons en tout sens pour essayer d'immortaliser le monument naturel et ses couleurs sur nos capteurs d'appareils photo. Nous prenons également l'air... le fait d'être en permanence avec les trois autres commençant à nous peser. En particulier les discussions comme ce matin qui se répètent de plus en plus souvent, et sont toujours de plus en plus compliquées. Justement, Verena nous fait signe. Nous allons la voir. Ils nous font savoir qu'ils aimeraient bivouaquer ici. Mais si nous dormons ici, nous raterons tout le Naadam qui commence tôt le lendemain matin. Mandalgov est à au moins 5h de route. Rediscussion interminable. Depuis des jours, on remet tout en question en permanence, chaque jour. On dirait qu'ils ne sont jamais contents. La tension est montée d'un cran dans le groupe. Ce sont pourtant des gens avec qui l'on se sent très bien, mais passer trois semaines non-stop avec des personnes qui nous étaient encore inconnues deux jours avant le départ, dans des conditions de voyage, de confort, d'hygiène, de partage, de fatigue, parfois de tension, ou de prise de décisions particulières, ce n'est pas complètement anodin. On a beau essayer d'épargner le reste du groupe de nos plus noires humeurs, lorsque l'on est tout le temps ensemble, on finit par très vite connaître les qualités et défauts de chacun d'entre nous. Loft Story dans l'espace d'un 4x4. Les caméras en moins. Notre chance? Être 5, un nombre impair, les décisions, qu'on voulait au départ prendre dans le compromis, finissent souvent par être prises démocratiquement, trois personnes contre deux. Les perdants cachent leur frustration, les gagnants, leur joie.
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Sur la route, quelques villages perdus, isolés, sinistres...
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Ces gens ont beau nous être très sympathiques, le voyage en groupe, ce n'est vraiment pas ma tasse de thé. La différence avec les groupes que nous formions en Chine, c'est que là bas, chacun était libre de vaquer à ses occupation pendant la journée. Chacun était libre d'aller manger où et quand cela lui chantait. Et la situation n'était pas subie. Lorsque au Tibet, Tina, Liza et moi avons décidé de partir sans les gars dans les montagnes de Danba, rien ne nous en empêchait. Ici, le contexte est inverse. Nous n'avons qu'un van, qu'un chauffeur, toutes nos décisions doivent être prises ensemble, avec le consentement de Bogui et Ishka qui nous disent la faisabilité de nos projets ou idées.
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Après un gros trajet effectué de nuit, nous dormons à l'entrée de Mandalgov, afin d'y être tôt le matin, pour le début des cérémonies d'ouverture. Mais le Naadam, et la fin du voyage, nous vous les raconterons dans le prochain billet.
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T&B