dimanche 23 octobre 2011

Transsibérien

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Ce sera donc le Rossiya qui nous emmènera à Moscou. Le Rossiya, c'est LE transsibérien, celui auquel tout le monde pense en prononçant le nom de cette ligne. Car en fait, tous les trains, régionaux, ne faisant que le trajet entre deux villes sibériennes, ou ceux parcourant les 10.000 kilomètres séparant le Pacifique de la capitale russe, sont des transsibériens. Il n'y a qu'une ligne allant d'un bout à l'autre. Le Rossiya est le seul train enchainant les tchacatchacs à travers toute la Sibérie, sans relâche de Vladivostock à Moscou et inversement, arborant fièrement à travers plaines et taïga les couleurs nationales blanc, bleu et rouge de ses wagons .

Nous montons dans notre wagon, en classe plastkartni. Un peu plus de 70 heures en 3ème classe, ça risque d'être long, mais nos finances – ou plutôt le peu qu'il en reste - nous y obligent. Il s'agit d'un wagon de 60 personnes, sans véritables cloisons fermant les compartiments, sans portes, sans rideaux. Tout les passagers vivent ensemble pendant toute la durée du voyage. Il faut donc espérer avoir des voisins sympa, parce qu'en réalité, le transsibérien, c'est peut-être avant tout les voyageurs avec qui l'on partage l'espace entre quatre couchettes, les tentatives de discussion dans la langue de l'un ou de l'autre, dans un baragouinement d'anglais ou, au pire, dans des tentatives désespérées de mimes. Et elles ont toujours été sympa ces rencontres, jusque là. Car, rappelez vous, pour nous, le transsibérien a commencé à Pékin. Il y eu d'abord ces jeunes Mongols de l'Est, qui, dans leurs livres, nous firent découvrir leur pays sans songer que nous en tomberions vite amoureux. Puis il y eu Malte et Verena, avec qui nous commencions à faire connaissance avant de nous lancer sur les pistes des steppes pendant trois semaines. Et puis il y eu Irena, qui est peut-être mariée à l'heure qu'il est. Qui serons nos camarades de voyage, cette fois-ci?

Le temps de mettre nos sacs sous les banquettes en skaï ou dans les filets au dessus de nos têtes et de nous installer, Tina en haut et moi en bas (choix stratégique), un jeune russe d'une vingtaine d'années prend place sur la couchette en face de la mienne. Zdrastvouytye. Il s'assied sur sa banquette, face à moi, et me regarde. Dans un anglais hésitant, il me demande, avec un sourire espiègle:
- Étrangers, n'est-ce pas?
- Oui.
- J'en étais sûr.
Et il continue de préparer sa couche. Interloqué qu'il ne me demande pas d'où nous venons, comme si le simple fait de savoir que nous ne sommes pas russes lui suffisait à satisfaire sa curiosité, je fais comme lui et m'occupe avec mes draps et couvertures.
Puis une femme monte, la quarantaine. Elle aura la deuxième couchette du haut. Elle parle en russe avec le jeune. Ils nous regardent, chacun y va de ses hypothèses pour savoir d'où nous venons. La femme a les yeux vitreux et son sac en plastique fait des bruits de bouteilles qui s'entrechoquent.

Ça promet.

Mais, même russe, une femme reste une femme, et sa curiosité va plus loin que celle du jeune homme. Elle ne parle pas anglais, elle lui demande donc de nous poser des questions.
- Elle veut savoir d'où vous venez.
- France et Slovénie.
- Ah. Et vous vous êtes rencontrés en voyage?
- Oui... Il y a 9 ans.
Il traduit. Ils ne commentent pas. J'enchaine.
- Et vous? Êtes-vous d'Irkoutsk?
- Oui.
Silence... Ça change des pays traversés auparavant où les gens montraient toujours beaucoup de curiosité à notre égard, ce qui facilitait le contact. Ici, nous ne somme plus si spéciaux après tout. Il faudra se réhabituer à être « normaux ». J'enchaine donc, dans l'espoir d'en savoir un peu plus sur eux.
- Et où allez vous?
- A Krasnoyarsk, les deux.
D'une certaine manière, je suis rassuré. Nous n'aurons pas à les supporter pendant trois jours s'ils s'avèrent être de véritables portes de goulags.
- Et vous? J'imagine que vous allez à Moscou, continue le garçon. 
- Oui. (Décidément, il devine tout).
La conversation finit par prendre.
- Elle est bourrée. Et ce qu'elle raconte n'a pas beaucoup de sens, nous confie-t-il en désignant la femme. Elle s'appelle Svetlana, et moi, c'est Vitaly.
- Regardez ce que j'ai dans mon sac, nous dit elle. Des bières. Vous en voulez?
Vitaly refuse gentiment, nous permettant de décliner cette invitation sans avoir l'impression d'être trop impolis. Il nous explique que, en Russie, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer en Europe de l'Ouest, il est rigoureusement interdit de boire dans le train. La provodnitsa, la responsable du wagon, veille sur le calme, la propreté, le samovar, et vend des petites friandises, du thé et du café. Elle a l'œil partout. En plus, elle loge juste derrière nous et a d'ailleurs déjà repéré l'allure de soûlarde de Svetlana. Si elle nous prenait à boire de l'alcool, l'amende serait lourde.
Mais Svetlana insiste et nous explique la technique pour ne pas se faire attraper. En fait, selon elle, ce sont les bouteilles d'alcool qui sont interdites. Il suffit donc d'avoir des verres... et de cacher les bouteilles. Mais bien sûr! Et si on nous demande, nous dirons que c'est du jus de pomme! Les deux russes, en habitués des trajets à rallonge, ont justement leurs gobelets avec eux, mais nous n'en avons pas. Qu'à cela ne tienne, Svetlana va voir la provodnitsa. Elle revient avec des sachets de café instantané... et des verres. Les capsules sautent, nous voici trinquant avec nos timbales en aluminiums et nos godets émaillés. Trois étudiants tchèques, voisins et voisines de couchettes, que le bruit et l'odeur auront sans doute attirés, nous rejoignent. La provodnitsa, pas vraiment dupe, nous repère vite. Aïe. Elle emmène Svetlana à part pour lui parler. Nous redoutons la contravention. Et puis Svetlana revient avec 7 canettes d'un demi litre de Baltika, la bière locale. C'est la Provodnitsa qui les a sorties d'entre ses piles de draps. Elle les vend au noir et double ainsi son salaire. Nous descendons les litres rapidement, retournant plusieurs fois nous ravitailler auprès de la chef de bord.

Alors que la nuit tombe et que le wagon commence à s'endormir, nous parlons de plus en plus fort. Tina et moi sommes évidemment les premiers à tituber verbalement. Mais il est compliqué de communiquer, Svetlana ne parlant pas un mot d'anglais. Vitaly a une idée, jouons au jeu des mimes. Il faut se faire deviner des mots, des expressions ou des phrases en les mimant. Ceci devrait résoudre le double problème de la langue et du bruit. Mais ça ne marche pas du tout, nous faisons évidemment encore plus de bruit.
De l'atmosphère que je trouvais encore glaciale il y a quelques heures, nous passons à une franche rigolade. Polyglotte. Les excités du wagon, ceux qui empêchent 50 personnes de dormir, c'est nous. Un peu gênés, nous constatons que personne de viendra se plaindre. Pas même la provodnitsa. J'imagine qu'elle assume. En troisième classe, on amène ses boules Quiès et on supporte. Ou alors on paye pour être en kupe!

Le lendemain matin, la gueule de bois n'est pas arrangée par le roulis du train. Il n'y a pas idée de prendre le transsibérien lorsque l'on supporte aussi mal l'alcool que nous deux! Nous discutons avec Vitaly et Svetlana. Elle nous raconte qu'elle vient de perdre son père, elle retourne chez elle après les funérailles. Voici qui explique son état, hier. Vitaly nous explique qu'il va retrouver sa copine, et qu'il prendront l'avion pour aller passer le week-end à St Saint-Pétersbourg. Nous parlons histoire, politique. Il mentionne Napoléon, je lui précise que les Français l'aiment bien moins qu'il ne l'imagine. Je mentionne Poutine, il me réplique que les Russes l'aiment bien plus que nous ne l'imaginons. Et Medvedev? Un pantin. Nous voici d'accord. Nous échangeons nos e-mails. Faisons une photo. Les deux reprennent alors cette tête d'enterrement typique des Russes. En regardant ce que ça donne sur l'écran de l'appareil, ils se marrent tous les deux. Un Russe ne sait pas sourire sur une photo, nous disent-ils, ça fait partie des choses immuables de ce pays. Et puis ce sont les embrassades d'adieux. Le train, beaucoup trop tôt à notre goût, a fini par arriver à Krasnoyarsk. C'est avec regret et émotions que nous laissons partir nos deux compagnons d'une nuit d'ivresse. Première leçon russe: Dans ce pays, la glace peut être épaisse, et après l'hiver, c'est le printemps. Il faut donc savoir ne pas s'arrêter à cette froideur de surface, et laisser sourdre la chaleur des Russes. Elle finira par enivrer autant que leur vodka, peut-être de façon aussi pernicieuse et inattendue.
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Le train repart. Encore une soixantaine d'heures à faire. Nous traversons notre premier fuseau horaire. Il y en aura quatre autres, en trois jours. Rapidement, on ne sait plus trop où on en est.
A bord, on se nourrit principalement de thé et de Dochirak, ces nouilles déshydratées au bœuf ou au poulet. Le samovar en bout de wagon fournit de l'eau bouillante à volonté. Quand le train s'arrête en gare, c'est pour 10 à 20 minutes, le temps de se dégourdir un peu les jambes, de trouver une de ces mamies sur le quai qui, pour quelques roubles, vous vendra des œufs durs, des pommes de terres chaudes ou une cuisse de poulet qu'elles sortent de leurs glacières. Avec un peu de chance, et à conditions d'être assez rapide, on aura peut-être droit à quelques produits frais qui se font tant désirer sur ce train: tomates, concombres, pommes.

A Krasnoyarsk, c'est une jeune femme avec sa petite gamine de 4 ou 5 ans qui prend la place de Vitaly. Puis un homme des bois qui prendra la couchette du haut. Là, plus personne ne parle anglais. Difficile de communiquer, autrement que par des regards furtifs, timides, des sourires. Et puis par le partage, première règle à bord de ce train. Biscuits, crackers salés, cacahuètes ou pignons de pin, on distribue à droite et à gauche. La gamine est une vraie pipelette, incroyable. Elle se balade dans tout le wagon et fait connaissance avec tout le monde. Notre voisine de couchette finit par l'adopter, nounou temporaire de voyage. 
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Les journées se ressemblent. Le paysage défile à 60 km/h. Des bouleaux, des cabanes en bois, des petits villages. Tchacatchac tachacatchac, sur le même rythme que le passage des poteaux électriques. On regarde dehors de temps en temps, et puis on se remet à dormir, ou on se replonge dans son bouquin. C'est le moment de remettre à jour le carnet de route. Tchacatchac tchacatchac, comme une berceuse. Les autres voyageurs sont calmes. Ils dorment. Chacun a son rythme dans ce train. Certains sont aux Dochirak et saucisson sec à 8h du matin avant d'attaquer une énième partie de cartes, d'autres sont au chocolat chaud à midi, entre deux siestes. Un touriste, au fond, s'efforce de lire son Guerre et Paix. Il s'était juré de l'avaler jusqu'à la dernière page avant d'arriver au bout de la ligne. Mais c'est peine perdue. Personne ne le lui a dit, mais dans le transsibérien, on n'a pas le temps de lire tant que ça. Trop de rencontres, trop de partage.
Dehors, c'est toujours le même paysage, qui défile lentement. On se sent comme dans une bulle de savon incontrôlable, filant au gré du vent, nous isolant du paysage que l'on voit pourtant défiler passivement sous nos yeux, en silence. Personnellement, j'ai trouvé cette expérience frustrante, d'une certaine façon, parce que j'aurais aimé pouvoir sauter du train et visiter ces petits villages le long de la voie ferrée. Connaître la Sibérie rurale. Rencontrer la mamie qui retourne la terre de son potager, le papi sur son tracteur, l'éleveur qui réunit ses bêtes, la famille qui rentre à pied au village. Faire la campagne de Russie. A ma façon. Et en hiver. De la Carélie au Kamtchatka, en passant par St-Petersbourg et la mer Baltique gelée puis par les territoires touvains de l'Altaï où vivent les nomades et les chamanes. Ce sera dans un prochain voyage, peut-être. En deux roues. Ou trois, au guidon d'un side-car vert, comme celui de Boltchykoti. Avec un vieux casque en cuir et de grosses lunettes d'aviateur, à fond sur la glace du lac Baïkal ou longeant les rives de l'Amour. Traversant les 10 fuseaux horaires du pays à ma vitesse. Ah ouais, ça aurait de la gueule, ça !
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Après notre deuxième nuit à bord, arrivés à Novosibirsk, la mère et sa gamine laissent place à... une autre gamine du même âge, mais cette fois, accompagnée de sa grand-mère. Bien moins pipelette, bien plus pleurnicharde (la gamine). Pas plus facile de communiquer, mais la mamie, une experte en origamis, décidera de nous faire partager son savoir-faire. Nous voici à plier religieusement des petits bouts de papier dans tous les sens, jusqu'à ce qu'ils se transforment, comme par magie après le dernier pliage, en petits anges. Et notre voisin de derrière se met à jouer de la guitare et à chanter.
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Tina commençait à tourner en rond, moi, j'aurais finalement pu y passer encore un ou deux jours. C'est reposant, ce train, ça fait du bien. Et puis... Je n'ai pas envie d'arriver. Ce trajet, c'était trop tôt le début de la fin. Et voilà. Nous sommes déjà sur les immenses quai de la gare de Leningrad, à Moscou.
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samedi 15 octobre 2011

Baïkal

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Le minibus quitte la place du marché d'Irkoutsk et très vite, file sur l'étroit bandeau d'asphalte qui a été tiré en une parfaite ligne droite entre la capitale régionale et les rives Sud du lac Baïkal, à travers une épaisse taïga, typique de cette région de Sibérie orientale.
C'est donc dans la petite cité lacustre de Listvyanka que nous nous posons trois jours, histoire de souffler un peu, et de récupérer de la fatigue accumulée depuis que nous avons quitté Pékin, en dormant de longues nuits dans le silence sibérien, et en nous délectant des spécialités locales: l'omoul (le poisson du lac) fumé, le pain local à la couleur brune, et le kéfir, cette boisson lactée au goût fort et acide.

Au bout d'un chemin de terre, à l'écart du reste du village, nous nous installons dans un petit chalet entièrement en bois (il faut dire que les arbres ne manquent pas par ici). L'excentrique propriétaire nous explique où vont les 2 chemins qui passent à proximité du chalet.
- Par là, vous rejoignez le lac, par ici, vous passez une montagne et vous trouverez une jolie église et un petit hameau où l'on peut faire du chien de traineau en hiver, et puis si vous continuez par là-bas, au bout de quelques heures, vous devriez tomber nez-à-nez avec un ours.
Nous voici avertis.

Nous farnientons la première journée sur les rives de cette magnifique masse bleue, à la beauté saisissante. Long de plus de 600 km par environ 50, le lac fait une fois et demie la superficie de la Slovénie (vous rendez-vous compte?). Son eau est réputée pour sa pureté, et en hiver, le lac étant entièrement gelé sur 50 à 70 cm, les bateaux sont remplacés par des Jeeps, des Uaz et des camions militaires, qui utilisent alors le lac comme une immense autoroute.
Avec ses 1600 m de profondeur, ce lac contiendrait suffisamment d'eau douce pour abreuver l'humanité entière sur une période de 40 ans... Mais alors, me direz-vous, pourquoi les Russes boivent-ils autant de vodka?

Nous rencontrons les charmantes commerçantes du village. Du jamais vu. Entrez dans un magasin, et vous aurez immédiatement le réflexe de vous excuser d'avoir eu l'audace d'importuner la dame qui était assise au bord de la fenêtre, à attendre désespérément que la journée se termine. Déjà, pour lui faire quitter sa chaise, il faut insister sur le « Zdrastvouytye », salutation locale. Sans vous rendre le bonjour, elle vous regarde inexpressive, glaciale et hermétique. Lorsqu'en plus, elle s'aperçoit que vous ne parlez pas russe, alors là, c'est mort, c'est la fin des haricots. Elle soupire, râle, s'efforce de vous montrer à quel point il lui est pénible d'essayer de vous comprendre. Vous montrez du doigt ce que vous voulez, elle s'évertue à ne pas comprendre. Elle prend un malin plaisir à vous poser, en russe, des questions inutiles auxquelles vous êtes incapable de répondre, vous remettant habilement l'échec de la transaction sur le dos. Se nourrir dans ce patelin est une véritable épreuve, un tour de force. Il faudra vous estimer heureux si vous parvenez à ressortir avec un ou deux filets de poisson, un bout de pain ou quelques grammes de vache-qui-rit locale. Il n'y a pas idée de déranger les gens ainsi... Étrange pays.
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Un matin, nous prenons un bateau qui longe la rive Ouest sur une vingtaine de kilomètres vers le Nord, et nous pose à Boltchykoti, tout petit village de maisonnettes de poupées en bois sombre et aux volets colorés. Le hameau n'est accessible que par le lac ou à pied. L'endroit est absolument charmant. Le temps est superbe. Le vieux side-car vert que l'on a remarqué en descendant du bateau semble être le seul engin motorisé du coin.
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Le lac imprègne l'endroit d'une formidable sérénité. Çà et là, dans les jardins, au bord des chemins ou sur les galets du rivage, des fûts en métal recyclés en fumoirs à omoul enveloppent le village endormi d'un appétissant fumet de poisson. Assises devant leurs maisons, on se demande quels ragots peuvent se raconter les mamies. Les quelques gamins du bled s'amusent dans les épaves de camions de l'armée russe, rouillant au fond d'un jardin. Des vaches sans pâturage fixe, squateuses de maisons abandonnées, nous regardent passer de leur yeux inexpressifs, la tête par la fenêtre de leur todis. Et puis éberlués, depuis des pontons bricolés sur la rive, nous regardons les femmes du village plongeant sans hésitation dans cette eau qui ne doit pas dépasser les 12 degrés. 
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Nous savourons longuement l'ambiance paisible de ce hameau, puis longeons le lac vers le Sud, en direction de Listvyanka.
L'étroit chemin, absolument pas balisé, mais assez visible au début, devient de plus en plus compliqué à pratiquer, nous emmenant souvent au bord de la falaise, 30 mètres à pic au dessus de l'eau, nous faisant risquer de sérieuses chutes. Nous empruntons donc d'autres chemins qui partent davantage à travers les arbres, en remontant la pente abrupte.
Nous mangeons sur la grève et nous ravitaillons régulièrement en eau à même le lac. Ce sont les locaux qui le font. Et c'est vrai qu'elle est bonne, et fraîche.
Au fur et à mesure que nous avançons, le sentier est de moins en moins facile à distinguer. Nous y allons parfois au pif. Au pire, nous suivons le lac, grosso modo. Au bout de 4 ou 5 heures de marche, nous nous enfonçons sérieusement dans la forêt. Comme nous sommes maintenant assez proche de la bruyante civilisation, et que l'endroit est régulièrement pratiqués par des randonneurs, le risque de rencontrer un ours est plutôt faible. En revanche, l'orage qui a menacé tout l'après midi nous tombe dessus. Nous courbons l'échine et filons à travers bois, avec pour seule motivation de se retrouver au sec, sous un toit avec un bon chocolat chaud... Évidemment, nous finissons par nous perdre. Et ne sommes plus en vue du lac. Après avoir rejoint une gigantesque antenne-relai toute rouillée, nous nous retrouvons sur un chemin carrossable et l'empruntons sur quelques kilomètres. Il nous mène à des maisons qui nous remettent sur le bon chemin.
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De retour au chalet, nous nous faisons un gueuletons de coquillettes au concentré de tomate (que nous avons finit par arracher des mains de l'épicière) et refaisons le monde avec les deux Catalans, qui m'en voudraient de dire Espagnols, logeant dans l'autre chambre de cette cabane du fond des bois.
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Lorsque nous quittons le Baïkal, c'est pour monter dans le transsibérien, pour une longue et dernière étape jusqu'à Moscou.
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mardi 4 octobre 2011

Bons baisers de Russie?

Lénine nous montre le chemin...
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Nous allons jusqu'à la gare d'Oulan Bator en « taxi mongol ». Le taxi, à Oulan Bator, c'est facile: C'est la première voiture qui vient!
Vous vous plantez sur le bord de la route, vous faite des signes aux voitures – à toutes les voitures - qui passent, et en moins de deux minutes, pour 500 tugriks (0,30€) du kilomètre, quelqu'un s'arrêtera pour vous emmener où bon vous semble (à conditions que vous ayez été assez clair dans vos mimes et bruitages en guise d'explication).

Dans le train, nous faisons la connaissance d'Irena, jeune et jolie Russe bouryate, originaire d'Oulan Oude, à la frontière mongole. Elle a les traits asiatiques, et se dit de confession bouddhiste. Elle nous explique avec naïveté les affres de l'amour lorsque l'on s'éprend d'un jeune kirghize musulman, qui entend appliquer le coran à la lettre dans leur vie quotidienne. Amour post-soviétique. Fini les mini jupes, fini le maquillage. Elle refuse encore de porter le voile. Mais elle l'aime. Ils parlent déjà de mariage. Elle va rencontrer sa future belle famille, à Bishkek, dans quelques semaines... Que lui dire?

Le passage de la frontière mongolo-russe prend une éternité. Pendant plusieurs heures, nous restons en place, portes fermées, toilettes condamnées, à regretter le litre de thé que l'on vient d'avaler. Il nous faudra en tout huit heure pour passer cette zone.

Nous descendons du train à Irkoutsk au petit matin. Le trajet n'a duré que 36h. Au fond, ce n'est pas grand chose quand on regarde ce qu'il nous reste à parcourir jusqu'à Moscou.
Nous peinons à casser nos billets de 1000 roubles afin d'avoir le change pour prendre le vieux tramway grinçant qui nous amènera au centre-vile.

Nous posons nos sacs dans une guest-house et avalons quelques cafés qui nous permettent enfin d'ouvrir les yeux... Mon Dieu! Mais cette ville ressemble étrangement à Ljubljana! Où sont les Bouryates, les Mongols, les Iakoutes? Ces peuples sibériens aux yeux bridés, ces natifs de la Russie orientale? Nous sommes pourtant encore si loin de nos pays. 7000 km à vol d'oiseau. Kaboul est moins loin, les guerriers Masaïs vivent moins loin, les eaux de l'Amazone retrouvent celle de l'Atlantique moins loin que cela! Nous voici dans une ville complètement européenne – fut-elle slave -, nous voici revenus dans un monde de Blancs! Nous n'en revenons pas. Tina a l'impression d'être chez elle, et moi aussi. L'architecture et les couleurs des immeubles, la langue, la nourriture. Tout se ressemble. C'est une évidence que nous nous étions refusés à concevoir jusque là. Nous n'étions pas préparés à vivre ce changement de monde, ce retour à la maison, si brutalement. Nous imaginions la Sibérie encore un peu asiatique. Finalement, l'Europe va bien au delà de l'Oural... elle va jusqu'au Pacifique.
Nous sommes déçus. Et puis nous sommes déçus d'être déçus, c'est encore pire.

A peine quelques minutes après notre arrivée, une fanfare défile dans la rue. Une centaine d'hommes en costumes rayé bleu et blanc font vibrer leur trompettes et tambours. L'esprit paraît bon enfant. Il faut dire qu'il n'est que 8h du matin!
Les gens nous mettent immédiatement en garde. C'est la « journée des parachutistes ». N'allez pas trainer au bord de l'Angara ou sur les quais. Dans deux heures, tous seront soûls et n'attendront qu'une seule chose, se battre, entre eux, ou avec le premier passant qui se présente. Être étranger est pour eux déjà plus qu'une provocation.

Deux heures plus tard, nous voici sur les bords du fleuve, où, effectivement, ils sont tous déjà pleins comme des outres. Les voix claquent, les regards sont vitreux, les mouvements imprécis, l'atmosphère tendue. Déjà, trois d'entre eux se jettent sur un pauvre chinois habillé en touriste chinois. Ils essayent de lui enfoncer son chapeau jusqu'au menton. Les insultes xénophobes fusent. Tous sont hilares. La femme de l'un des soldats fini par réagir. Le chinois repart hagard, en ayant bien cru que ses vacances allaient se terminer à l'hosto.
Profil bas, nous ressortons de ce quartier qu'on nous avait pourtant déconseillé.

Statue de Lénine, rue Karl Marx, deux trois maisons traditionnelles en bois... et un peu partout ces foutus groupes de militaires russes bourrés comme des Polonais qui errent en fantômes menaçants, plombant l'atmosphère. C'est avec un enthousiasme brisé que nous visitons cette ville moyenne (500.000 habitants) souvent décrite comme étant la plus belle de Sibérie.
Nous dinons dans un restaurant qui nous sert des portions microscopiques de saumon et de lasagnes pour un prix exorbitant. Décidément, cette ville ne nous plait pas.
Nous décidons de fuir à travers la taïga jusqu'au lac Baïkal dès le lendemain.