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C'est à Pékin que le Naadam commence,
pour nous. Dès que nous réalisons que celui-ci débutera le
surlendemain de notre arrivée à Oulan Bator, nous décidons de
réserver un hôtel. La chose n'est pas aisée, c'est la période la
plus touristique dans le pays. Alors je ne vous parle pas de la
capitale à la veille du plus gros festival national ! Tous les
hôtels sont réservés. Les touristes arrivent de partout dans le
monde pour assister au spectacle. Nous finissons par trouver deux
lits de dortoir dans un petit appartement tenu par une française.
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Nous débarquons donc l'avant veille
des festivités, avec Malte et Verena, et sommes tous d'accord pour
foutre le camp avant que celles-ci ne commencent, comme nous vous
l'avons raconté quelques billets plus haut. Parce que le Naadam dans
la capitale, c'est plus de touristes que de locaux dans les rues,
c'est des places dans les tribunes du stade à 40$, c'est
l'impossibilité de se loger à moindre frais. Et cela pendant toute
la semaine qui vient. Nous préférerions tous fêter ces deux
journées dans une ville plus petite, où ce sera moins touristique,
ou les cérémonies seront plus modestes mais plus authentiques et où
le contact avec la population locale sera plus aisé.
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D'après nos renseignements, la ville
de Tsetserleg, à une journée de route à l'ouest de UB (désolés,
les français ne disent pas OB), célèbre le festival les même
jours que la capitale. Nous organisons donc notre périple en prenant
en compte que cette ville sera notre première étape, et que nous
devons y être le plus vite possible.
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Le Naadam, c'est LA fête la plus
populaire de Mongolie, tant auprès des mongols que des visiteurs
étrangers. Les nomades viennent à cheval, parfois de très loin,
pour assister aux compétitions des trois sports traditionnels, les
trois sports de l'homme, comme on dit dans le pays: la course de
chevaux, le tir à l'arc, et bien sûr, la lutte.
C'est Gengis Khan qui instaura cette
fête, en 1206. Alors forcément...
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Une fois l'itinéraire choisi et
l'équipe qui nous emmènera formée, nous prenons donc la route...
Nous bivouaquons en chemin, et arrivons
en milieu d'après-midi à Tsetserleg le 11 juillet, censé être le
premier jour du Naadam. Mais à notre arrivée dans cette jolie
capitale d'aimag, l'atmosphère a un goût de fin de fête. Nous nous
renseignons... Les festivités ont commencé la veille, et viennent
juste de se terminer !
Sacre Bleu ! On a tout raté ! Tout?
Non. La foule se concentre derrière le stade. Nous garons notre Uaz
et allons la rejoindre, marcher entre les yourtes, cabanes et camions
installés provisoirement (un pléonasme, en Mongolie, c'est vrai),
où la population termine la journée.
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Des hommes torses nus et aux ventres
gigantesques cuvent leur vodka à l'ombre des yourtes. Des gamins
surexcités traversent l'endroit au galop sur des chevaux aux yeux
révulsés par le bruit et la foule. La population rit aux éclats,
attablée devant des yourtes où l'on se restaure en buvant de
l'airag et en mangeant des
khorchor
et des buuz,
ces délicieux dumplings au mouton, frits et huileux ou cuits à la
vapeur et collants. Vieux et jeunes se pressent aux stands de
fléchettes ou de loteries. Malgré la taux moyen d'alcoolémie
relativement élevé, l'ambiance est finalement plutôt bonne. Et on
se prend au jeu.
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Si nous sommes frustrés d'être
arrivés un peu tard, nous repartons contents de ce premier bain de
foule locale. De toute façon, comme le dit le proverbe mongol, on
ne se lasse pas de l'arc parce qu'on est rentrés bredouille de la
chasse. Ce n'est que partie remise. En effet, le Naadam est fêté
tout au long de l'été. Il suffit de tomber au bon endroit au bon
moment...
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Un jour, nous arrêtons le van sur la
piste pour regarder une folle cavalerie d'une cinquantaine de chevaux
galopant ventre à terre, au loin, montés par des gamins de 5 ou 6
ans qui leur chantent à l'oreille de quoi les stimuler sur une
distance ahurissante de 25 ou 30 km. Lors de ces courses, les
accidents ne sont pas rares, tous les cavaliers n'arrivent pas en
selle. Mais peu importe, seul le cheval compte, dans ce pays où l'on
érige des statues dans les centre-ville en hommage à tel ou tel
étalon qui a marqué l'histoire équestre de la province. En effet,
un cheval sans mini-jockey sur le dos mais passant la ligne d'arrivée
est tout de même pris en compte ! Le cavalier n'est qu'un outil, le
plus léger soit-il, pour maintenir la vitesse de sa monture.
Bogui nous raconte qu'elle aussi,
petite, participait au Naadam, et qu'elle a eu son heure de gloire,
gagnant, à l'âge de 5 ans, l'une de ses courses. Mais elle a arrêté
à 8 ans, lorsque, suite à une chute, elle a commencé à avoir de
sérieux problèmes de dos. Heureusement pour la famille, le cheval
s'était bien remis de l'accident. Mais la mère de Bogui décida
tout de même que s'en était fini du triple galop pour la jeune
cavalière. Bogui, les yeux étincelants, en parle toujours avec
beaucoup d'émotion.
- Quand on galope, on dirait qu'on
vole, me répète-t-elle à plusieurs reprises lors de notre trek à
cheval.
Mais elle reconnaît que les risques
pris par ces gamins, qui montent les chevaux sans selle et sans
étriers, sont énormes. Les décès son nombreux, et être invalide
dans ce pays est sans doute la pire des récompenses.
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Parfois, nous nous arrêtons dans une
yourte, et, après les salutations de base – « Bonjour,
comment va la famille? Comment va le bétail? Votre herbe est-elle
bonne? » - nous sommes invités à suivre un match de lutte en
direct sur leur petite télévision. Télé qui est branchée sur une
batterie de voiture, comme d'habitude, et dont la qualité de l'image
et du son sont tellement mauvaises qu'on en attrape des maux de crâne
après seulement quelques minutes. Les lutteurs, ces trop-pleins de
testostérone, ces montagnes de muscles et de graisse mesurant
généralement plus de deux mètres de haut, vêtus
d'accoutrements à la superman (sans sa cape), et de slips à rendre
fou de jalousie Aldo Maccione, torses et bedaines à l'air,
tournent l'un autour de l'autre, et tentent de se faire chavirer sans
se donner de coups. Le gagnant aura le droit de voir passer le
perdant sous son aisselle (rien que ça, ça ne donne pas envie de
perdre!), et d'enchainer avec une danse de l'aigle, tournant autour
du perdant et du jury en mimant le vol de l'oiseau, en tirant une
gueule d'enterrement brejnevien, avec la grasse d'un sumo marchant
sur des œufs. Pour nous, c'est assez décalé. Mais il ne faut pas
rire. La lutte est le plus macho des sports mongols, et si l'on
esquisse ne serait-ce qu'un sourire en voyant ce spectacle, c'est
l'honneur de toute la nation que l'on bafoue. L'hospitalité mongole
a tout de même ses limites...
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Lorsque Ishka apprend, au Lac Blanc,
que c'est son lutteur qui a
gagné, rien ne peut arrêter sa joie. Il termine la soirée avec une
cuite aussi mémorable que sa gueule de bois le lendemain!
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Une fois aux dunes de Khongoryn, nous
apprenons qu'à Mandalgov, les 28 et 29 juillet, se tient le Naadam.
A deux jours près, nous le rations définitivement, car c'est la
dernière étape du voyage avant de rentrer sur Oulan Bator. Une âpre
discussion s'ensuit, je vous le racontais, et nous décidons d'y
assister.
Après
avoir commencé par la clôture de la fête, au début du
voyage, et avoir vu certaines épreuves par la fenêtre du van ou à
la télé au fil des jours, aurons nous, avant de quitter le pays, la
possibilité d'arriver assez tôt pour voir les épiques cérémonies
d'ouverture ?
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Ce matin là, nous nous levons à
l'aube. Nous ne sommes pas très loin et voyons la petite capitale
grossir au fur et à mesure que nous nous approchons. Des yourtes ont
été montées pour l'événement. Nous doublons quelques gamins
s'entrainant sur leurs chevaux. Nous allons jusqu'au « centre-ville »
où la foule très matinale se presse autour d'une haute statue
recouverte d'un voile. Bogui nous explique que ce matin, un nouveau
monument sera inauguré. La télévision est présente, des moines
dans leur robes rouges sont par centaines assis autour. La foule est
vêtue des apparats des grandes occasions, aux couleurs aussi flashy
que multiples: manteaux jaunes, chapeaux aux formes ahurissantes,
capes bleues, bottes roses, combinaisons violettes...
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Tout le monde se pousse pour essayer de
voir quelque chose. Un officiel du gouvernement arrive en grande
pompe dans un gigantesque Hummer noir au vitres teintées, escorté
par une demi douzaine de 4x4, sirènes hurlantes au milieu d'une
foule qui ne parvient pas à ouvrir un passage au convoi. Les
policiers en uniformes gesticulent, menacent de leur matraques. Une
voie est ouverte. Le personnage en question peut sortir de sa voiture
et prononcer, devant caméras et photographes venus en nombre, un
discours qui paraît impressionner beaucoup moins la foule que la
voiture de laquelle il est sorti. Il repart aussitôt. Reconvoi
bloqué. Re flics et matraques.
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C'est l'heure de voir ce que cache ce
voile. La statue est découverte dans un grand « Oooohhh ».
C'est un cheval. On l'aurait deviné.
Leur passion pour cet animal n'a pas plus de bornes que n'en compte
ce pays sans route, propriété privée ou clôture. Bogui nous
explique que c'est la sculpture du gagnant des trois ou quatre
Naadams précédents, et qui est tombé raide mort à l'arrivée de
sa dernière course, l'année passée. Le pauvre a fini dans la
gloire, ça lui fait une belle jambe. Son riche propriétaire, dans
toute son humilité, a offert ce monument à la ville. Tout le monde
s'extasie devant la figure de bronze figée en plein galop, crinière
au vent, muscles tendus. Les anciens se remémorent les exploits de
l'animal. Quel est leur pronostic pour cette année? Les paris vont
bon train.
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Une fois cette inauguration terminée,
nous montons vers le stade improvisé sur un bout de steppe où
commence tout juste la cérémonie d'ouverture. Chaque Sum (petit
village) de l'aimag (province) a envoyé une sorte de délégation,
pour la représenter. Des centaines d'enfants, d'hommes et de femmes,
accoutrés comme des personnages sortis de Star Trek, attendent de
défiler sur la pelouse du stade. Nous nous faufilons au milieu et
sommes pris par l'excitation contagieuse que peu de participants
parviennent à contenir. Mais attention, aucun second degré dans ces
costumes. Le Naadam, c'est pas Mardi Gras. C'est très sérieux.
Chacun vit sa présence sur cette pelouse comme un hommage.
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Et puis les portes s'ouvrent. Pris dans
le mouvement, nous sommes propulsés sur la pelouse du stade. Nous
voici aux premières loges! Un à un, les groupes défilent, exhibant
des costumes tantôt moyenageux, tantot kitch, tantôt... hmmm, hot.
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Les spectacles s'enchainent. Un
orchestre se donne à fond. Des chanteurs s'époumonent dans des
micros dont les grésillements
et le larsen sont à peine supportables. Des danseuses
légèrement vêtues se déhanchent autant que la bienséance locale
l'autorise. Des acrobates sautent, rebondissent, flips et saltos...
L'émotion prend le dessus. Tina et moi lâchons quelques larmes de
joie que nous parvenons mal à cacher. Mais qu'importe.
Nous sommes si heureux de vivre
cela à la fin de ce
voyage au pays des nomades. C'est la meilleure conclusion que nous pouvions
espérer. Ce peuple de cavaliers sauvages, ces cowboys des steppes, nous émerveille, ce pays est
extra-ordinaire au sens premier du mot. Tout ici est
tellement loin de nos habitudes, de nos façons de faire, de nos
modes. C'est absolument fascinant. Colette disait que le voyage n'est nécessaire qu'aux imaginations courtes... (Ce qu'on peut entendre comme conneries !) Elle n'est sans doute jamais passée par la Mongolie.
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Au terme de la cérémonie, nous
comprenons qu'en même temps, sont arrivés les premiers enfants sur
leurs chevaux. Nous avons raté cela, mais la cérémonie valait
vraiment le coup. Nous cherchons l'endroit où se déroulent les
combats de lutte et ne trouvons pas. Certains nous disent qu'ils ont
déjà eu lieu, également pendant la cérémonie d'ouverture ! C'est
l'organisation à la Mongole ! Nous parvenons tout de même à voir
un peu les archers envoyer leurs flèches à 65 mètres avec une
précision déroutante.
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Nous déjeunons, comme à Tsetserleg,
dans les yourtes qui proposent du mouton et de l'airag.
Et puis des nuages se lèvent et
s'amassent dans le ciel. Le gris devient de plus en plus inquiétant.
Nous passons au milieux des stands qui proposent des jeux de
kermesse ou d'acheter toutes sortes de babioles, et savourons le
moment... Mais la pluie s'abat violemment tout à coup sur la ville.
Les gens courent en tous sens, s'abritent où ils le peuvent, sous un
stand, sous un parasol, derrière un camion.
La
fête paraît se terminer ainsi, en eau de boudin. Le reste
des festivités est annulé pour le reste de la journée.
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Nous remontons dans le camion et
conduisons hors de la ville. Nous passons notre dernière nuit en
yourte avec une gentille petite famille d'éleveurs de chèvres
vivant dans une très belle région. Nous nous délectons de cette
dernière nuit en yourte, de ces derniers moments au contact des
nomades.
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Réveil brumeux. Nous avons une grosse
journée de route pour arriver à Oulan Bator.
Plus qu'aucun jour auparavant,
la terre est dure et le ciel est lointain.
Ishka nous chante ses dernières
chansons. Bogui nous conte ses dernières histoires. La piste
déroulent ses derniers kilomètres et les collines dévoilent leurs
derniers troupeaux de chevaux.
La Mongolie est derrière nous. Elle
nous manque déjà. Il faudra y revenir. Vite.
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T&B